La cour d’école

Y’avait pas de portes de garage dans mon coin, pour pratiquer mon slap. J’avais pas de vrais filets non plus, enfin, au début. Mais je vivais dans un labyrinthe de ruelles, à l’ombre de plusieurs cours d’école. Mon voisin était du genre casquette à l’envers, civic coupé et pantalon jogging le dimanche, mais par-dessus tout, il avait un équipement de gardien, un vrai, pour jouer su’a glace pis se bouffer des slaps à cent mille à l’heure. Des fois, il le sortait pour jouer avec nous dans la ruelle. Ici, ici, ci, ci, ci. J’la voulais la balle, tout le temps. Poteau rentrant, come on, je l’ai vu, j’étais ben mieux placé. Pas de filet, disais-je, et mettez une humeur de mauvais perdant en plus. Valiquette, mangeux de puck. Valiquette, scèneux. Valiquette la tapette. Valiquette tabarnac d’ostie. Dans la ruelle, j’ai appris à sacrer comme tout le monde. J’étais un vrai ti-cul qui jouait parfois aux grandes personnes, comme tout le monde. Puis j’ai joué pour vrai, d’arénas en arénas, une lettre pis deux lettres, Mont-Laurier, St-Agapy, Louiseville, coach cravate, et moi bientôt en cravate : la grosse classe. Au fond, les mêmes enfants qui se tapent dessus, qui sacrent en pognant le poteau, en donnant un six-pouces, en mangeant un double-échec dans le dos. Le hockey est un sport de grands enfants.

De grands enfants, les partisans cyniques, nus d’espoir à la mi-saison, qui renvoient Robert Gainey aux deux semaines, qui échangent la moitié de l’équipe chaque mois, qui s’acharnent sur tel joueur, finissent pas le huer; de grands enfants ceux qui oublient qu’il y a trente équipes dans la Ligne, que Canadien n’est ni pire, ni mieux, et fait son gros possible.

De grands enfants, les éternels optimistes, gonflés d’espoir à chaque victoire, qui voient en chaque nouveau venu avec l’équipe un messie, qui surévaluent chaque joueur de Canadien en croyant obtenir Kovalchuk pour Halak, qui s’excitent au printemps non parce qu’il fait chaud, non pour les jupes des filles, non pour les vacances prochaines, mais pour le doux parfum de la Coupe; de grands enfants ceux qui oublient que Canadien fait son gros possible, mais n’est ni pire, ni mieux que les trente équipes de la Ligne.

De grands enfants les joueurs qui veulent toujours plus d’argent, comme Latrell Sprewell, dit le rastaquouère, qui leva le nez sur une offre de 21M$ pour 3 ans en déclarant que c’était une offre humiliante et qu’il avait une famille à nourrir.

De grands enfants les exprès sportifs qui enfreignent le code déontologique du journalisme pour faire les manchettes, qui oublient qu’une rumeur n’est qu’une rumeur, qui oublient qu’ils ont une tribune et donc une responsabilité.

De grands enfants, ceux qui s’emballent le cœur à l’idée d’un match de Canadien. On est samedi, et je m’en vais faire mon grand enfant. Bon match!

1 Réponse to “La cour d’école”


  1. 1 Julie-Anne 24 janvier 2010 à 2:50

    OUPELAYE, quelle photo!

    Yannick, en lisant la première partie de ton article je me suis que ça serait du bon matériel pour un roman en littérature jeunesse. Ça a l’air drôle dit comme ça, mais je me suis vue, moi pourtant petite fille qui jouait à incarner des animaux, comme si j’étais petit gars qui jouait au hockeydoulay dans la ruelle. J’y ai cru! J’ai revu ma rue d’enfance et les petits gars qui se slapshotaient ça dans les gosses. Tu as le souffle, l’humour et l’énergie d’une littérature 9-12 ans.

    Fais mijoter ça dans ta marmite!

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